[Interview] Frédérique Buck, copywriter engagée

Publié le 30/09/2018

À l’occasion de la sortie de son film Grand H le 10 octobre au cinéma, adada a rencontré Frédérique Buck. Copywriter de formation, elle manie les techniques publicitaires dans chacun de ses projets « sociaux », pour donner un maximum d’impact et de résonance à la cause qu’elle défend corps et âme: celles des migrants. D’ailleurs, elle nous précise qu’au-delà d’un film, Grand H est un outil de sensibilisation.

Frédérique Buck, ces dernières années, on vous a vue accompagner l’ouverture du restaurant syrien Chiche!, être à l’initiative du livre (et du site) I’m not a refugee, co-fonder la plateforme Open Home et le 10 octobre sortira votre film Grand H. N’êtes-vous pas finalement devenue la meilleure attachée de presse de la cause des migrants au Luxembourg?

C’est vrai qu’on a monté une multitude de projets liés à la question migratoire depuis 2016. Ces projets répondent tous à un réel besoin de faire naître des projets pour combler les lacunes du système d’accueil et d’intégration gouvernemental des nouveaux arrivants. Au-delà de ça, il me semble important au vu du narratif médiatique souvent biaisé par rapport aux réfugiés de développer des narratifs différents qui permettent de rapprocher les gens d’ici et les nouveaux arrivants. Chacun de mes projets a ainsi un volet important au niveau de la communication et raconte une nouvelle histoire. Prenez Open Home par exemple: nous accompagnons des résidents prêts à accueillir une personne déplacée à leur domicile et en même temps nous faisons naître de belles histoires d’ouverture et d’intégration, des histoires qu’ensuite nous racontons.

« Oui, mon métier de conceptrice-rédactrice constitue un atout car la communication est souvent le point faible des ONG, faute d’expertise et de moyens. »

L’objectif étant toujours d’entraîner de plus en plus de personnes avec nous. Sensibiliser au maximum est crucial aujourd’hui, les clivages se creusent de manière inquiétante ces derniers temps. Et donc oui, mon métier de conceptrice-rédactrice constitue un atout car la communication est souvent le point faible des ONG – faute d’expertise et de moyens.

Un tiers des gens pensent que leur métier ne sert à rien (cf. Magazine Society #90 du 20 septembre). Vous pensez ça du métier de copywriter?

Disons que… oui, puisqu’on est amené à travailler en majorité sur des projets commerciaux. Cela-dit, certains sont, même s’ils n’ont pas vocation à changer le monde, passionnants, c’est un critère important aussi, en tout cas pour moi puisque le challenge d’un concepteur-rédacteur est de comprendre non seulement son client et ses besoins mais aussi l’univers du client, la société.

« Les agences auraient intérêt à permettre davantage à leurs employés de travailler en pro bono sur de beaux projets. »

Après, je pense qu’effectivement les agences auraient intérêt à permettre davantage à leurs employés de travailler en pro bono sur de beaux projets. Pour mes projets j’ai ainsi eu la chance d’être accompagnée par des graphistes talentueux comme The Barkas pour I’m not a refugee et Chiche!, Julie Conrad pour Open Home ou carrément toute une équipe chez binsfeld pour Grand H (corporate et site). Quand je vois la réactivité et l’entrain de l’équipe binsfeld, j’en tire la conclusion qu’ils sont effectivement heureux de travailler sur un projet qui fait sens. Avis aux patrons d’agence!

Jean Asselborn est à l’affiche de votre film Grand H. Avec l’actualité qu’on connait, « Merde Alors » n’aurait-il pas été un meilleur titre?

À fond! Mon documentaire aborde la question du conflit entre le système, la politique migratoire et l’humanité, ce n’est pas un film sur le Ministre même si il a un rôle-clé. Le Ministre des Affaires Étrangères, de l’Immigration et de l’Asile, Jean Asselborn y incarne le système d’asile. Il a accepté sans hésiter de participer au documentaire – sans aucune condition de sa part. J’ai trouvé cela courageux qu’un Ministre s’expose aux critiques de la société civile. Il n’a pas cherché à savoir quels extraits de notre interview j’allais utiliser ni essayé de voir le montage final. On voit bien dans le film qu’il est lui-même déchiré entre sa fonction, ses responsabilités et son humanité, que ce conflit lui pèse. Au niveau international, les trois dernières années l’ont fortement marqué. En quelque sorte, il a perdu son pari: maintenir la solidarité européenne. Je pense que cet échec est très douloureux pour lui. Il est amoché mais ne lâche rien. Nous avons beaucoup échangé au cours des deux dernières années, je tenais à montrer que la question migratoire ne l’a pas laissé indemne non plus. Quant à l’affiche du film qui met en scène Sharif Dalili, un réfugié afghan (celui qu’étreint le Ministre sur l’image à la fin du film) et Jean Asselborn, elle est censée interpeller: cette situation de face à face n’existe pas dans la réalité. Mais nous savons que tout bascule quand on a une personne devant soi. Elle n’est plus un numéro de dossier mais un être humain.

Restons dans un langage «marcom»: quels objectifs vous êtes-vous fixés pour Grand H?

Documentaire engagé, il est clair que nous souhaitons tous qu’il soit vu un maximum, au Luxembourg comme à l’étranger. C’est bien parti puisque – petit miracle pour ce film modeste d’un point de vue budgétaire – il sortira en salles dès le 10 octobre. Il est déjà aussi très demandé pour des projections privées notamment par PwC (staff-days) ou une ribambelle de communes, des lycées aussi. En France aussi avec plusieurs projections à l’automne comme à la Villa Europa à Saarbrück, la Villa Gillet à Lyon ou à la Chaire Exil et Migration de l’Université de Paris. Grand H fait partie de la sélection officielle du Courage Film Festival à Berlin, ce sera l’occasion de nouer des contacts. C’est un film pour le grand public et j’espère qu’il trouvera son public via mes contacts avec les ONG partout en Europe. Il est distribué à l’international par Paul Thiltges Distributions qui a aussi accompagné la post-production, ce qui est un atout supplémentaire.

Sur la photo:
Frédérique Buck, entourée de Jean Asselborn et de Sharif Dalili
Crédit: Sven Becker / Grand H asbl