J’ai interviewé Joe la Pompe deux fois, et la deuxième fois, les questions étaient pompées.

Publié le 17/09/2017

La première interview, publiée dans le livre COPY PASTE :

Salut Joe, je ne te fais pas la bise parce qu’entre ma barbe de trois jours et la laine de ta cagoule, ça va faire effet velcro. D’ailleurs, t’en as pas marre de te cacher sous ton masque 
de braqueur de banque?

«Pour vivre heureux vivons cachés (citation pompée, ndlr). 
Je ne t’apprendrais rien en te disant que le monde de la publicité
 est rempli de gens qui sont prêts à tout pour se faire voir, se faire photographier, faire la une des magazines, alors ça me plaît d’être discret et à contre-courant! Merde aux égos surdimensionnés. Ce qui compte, c’est ma démarche et les questions qu’elle pose, non pas qui je suis.
 Si j’agis face cachée, c’est donc une manière de rester en retrait, 
mais c’est aussi pour préserver ma liberté critique.

Tu veux dire qu’il y a des agences qui te mettent la pression?

«C’est un petit monde, et on m’a souvent fait comprendre qu’il n’était pas très ouvert à la critique ni à la remise en question. J’ai reçu des mails d’insulte, on m’a traité de tout, de délateur, de fouteur de merde, d’empêcheur de tourner en rond, de troll ou encore de ‘hater’ comme
 on dit aujourd’hui. Ça s’est quand même bien calmé depuis que tout le monde a compris que je n’en voulais à personne ‘en particulier’. J’en veux juste aux paresseux, aux incultes et aux tricheurs. Mais bizarrement, personne ne se reconnaît jamais dans aucune de ces catégories.

« Ça a commencé comme un jeu, comme un défi, et puis au fur et à mesure des années, c’est devenu un hobby. »

Est-ce qu’au moins ils font preuve de créativité dans leurs menaces?

«Jamais. Par contre, ils font preuve de beaucoup de créativité dans leurs justifications une fois que je les prends la main dans le sac, pour m’expliquer qu’ils n’y sont pour rien, que c’est la faute à pas de chance, au client, au brief…

Existe-t-il d’autres chasseurs de publicités jumelles dans le monde?

«Il existe d’autres blogs et sites connus ou moins connus sur la thématique du plagiat, notamment dans la musique comme Sounds Just Like ou Culture Samples sur le phénomène du sampling;
 dans le domaine de l’art contemporain et de la photo, il y a Part Nouveau et Who wore it better; Copy Anticopy dans le domaine du design graphique, mais dans le domaine de la publicité, il n’y a pas d’autre blog dédié. Certains sites comme Adland (USA) ont cependant des rubriques qui relaient aussi ce genre de coïncidences, mais n’en font pas leur sujet unique. J’ai vu plusieurs blogs se créer et disparaître au fil des années, notamment des sites dédiés au plagiat dans le domaine du webdesign
 et des logos. Là aussi, il y a du boulot…

Tu publies des livres, tu donnes des conférences, tu as des contributions régulières dans différents magazines spécialisés… «Joe La Pompe», c’est devenu un métier à plein temps?

«Ça a commencé comme un jeu, comme un défi, et puis au fur et à mesure des années, c’est devenu un hobby de plus en plus chronophage. Je faisais ça en plus, à côté de mes heures de travail en agence de publicité. Mais à un moment donné, ça a été de plus en plus difficile de mener les deux de front étant donné la masse de travail à gérer. J’ai hésité pendant quelques années et puis j’ai dû faire un choix. Depuis deux-trois ans,
 j’ai décidé de me lancer et de me consacrer à 100% au site. Ça se traduit par de multiples activités au-delà de sa mise à jour régulière: je fais des interventions devant des étudiants (je suis formateur au sein du collectif Adprentis), je collabore à des magazines (CB News en France, Pub en Belgique, Cominmag en Suisse, Adformatie aux Pays-Bas et Arab Ad au Liban) et je participe à des festivals publicitaires pour faire en sorte qu’ils ne priment pas des idées déjà vues (Epica Awards, Les Chatons d’Or…).

Vu que je n’ai jamais vu ton visage, si ça se trouve je te côtoie dans la vie et je ne le sais même pas?

«Entre les différentes agences dans lesquelles je suis passé en tant que créatif et celles où j’ai présenté mon portfolio, les films que j’ai tournés, les photos que j’ai shootées, les enregistrements de radio que j’ai menés… j’ai rencontré des centaines de personnes dans ma carrière, donc oui, on s’est peut-être déjà croisé. J’ai peut-être été ton collègue, ton chef ou l’enfoiré qui n’a pas aimé ton dossier. Il paraît que dans la vie, je suis beaucoup plus sympa et beaucoup moins pointilleux que Joe.

« Comme moi, mon personnage n’a pas la prétention d’être unique ou inimitable, 
à la différence des publicités qui sont épinglées dans ce livre. »

Il y a forcément des gens qui connaissent ta double identité. Tu dis quoi aux personnes de ton entourage pour qu’elles ne te balancent pas publiquement sur Facebook à chaque soirée arrosée?

«Ma mère ne m’a pas reconnu sur la couverture de mon dernier livre (100 visual ideas, 1,000 great ads, ndlr), c’est pour te dire! Sinon, à mes amis, je leur dis que tout ça est une blague et que c’est beaucoup plus marrant ainsi. Je ne me cache pas par peur, si quelqu’un veut me parler ou me rencontrer, il y a toujours moyen de s’arranger… ou pas. Ça dépend de ce qu’il (ou elle) veut.

Ta mère justement, elle doit te prendre pour un original, non?

«Ma mère, c’est une artiste, une vraie. Elle vit de son art. Et en plus elle ne se cache pas derrière un pseudonyme… Sans doute m’a-t-elle inculqué en même temps qu’une certaine curiosité le goût de l’originalité et de la création. La vérité, c’est que je ressemble à beaucoup de gens de ma génération (la génération X, voilà je te balance un indice). Comme moi, mon personnage n’a pas la prétention d’être unique ou inimitable, 
à la différence des publicités qui sont épinglées dans ce livre: elles se sont toutes présentées comme originales, innovantes et ‘jamais vues’ au moment de leur sortie. D’abord c’est faux, et le pire, c’est qu’elles ont cherché à se faire récompenser pour ça! Tu sais, quand on a un jumeau dans la nature, on n’y peut rien. Par contre, quand on donne naissance 
à une publicité (ou à n’importe quelle œuvre, artistique ou non), on a toujours la possibilité de vérifier qu’elle n’a pas déjà été faite avant.

« Je m’amuse juste dans ma démarche à constater que des multinationales ne se donnent pas les moyens de leurs ambitions créatives. »

Tu défends la créativité, l’originalité. À l’école, t’étais du genre à cacher ta copie avec ta main pour que tes camarades ne s’inspirent pas de tes réponses?

«Ah ah! Ça m’est venu beaucoup plus tard en réalité. On a tous ‘triché’ dans nos vies à un moment ou un autre. On a tous copié sur le voisin, pratiqué les antisèches… Par ailleurs, j’ai lu que Aristote considérait la copie comme étant la seule bonne manière d’apprendre les choses, de les comprendre pour pouvoir être créatif (Propos sur l’art de la copie, Éditions L’Art-Dit). Je ne suis pas là pour dire que c’est mal ou pour juger. Je m’amuse juste dans ma démarche à constater que des multinationales (agences de pub comme annonceurs) ne se donnent pas les moyens de leurs ambitions créatives. ‘Be different’, ‘n’imitez pas, innovez!’… Ils s’autoproclament originaux et ne le sont pas forcément. À l’école, on s’en foutait d’être originaux, on voulait surtout avoir la moyenne!

Tu t’es déjà dit que peut-être, il y avait des gens malintentionnés qui venaient sur ton site pour piquer des bonnes idées et les refaire à leur sauce?

«J’ai entendu plusieurs fois des gens dire que mon site était une formidable source d’inspiration. Je ne sais pas comment prendre ce compliment. Maintenant si par ‘refaire à leur sauce’ tu entends y amener de la valeur ajoutée, recycler intelligemment, améliorer, alors là oui je suis d’accord!

Comme dans la mode, on aurait donc le droit de refaire du neuf avec du vieux?

«On a le droit, bien sûr. D’ailleurs on ne fait presque que ça. Mais encore faut-il vraiment ‘faire du neuf’. On n’invente plus, on réinvente. Malheureusement, la très grande majorité des exemples exposés dans ce livre ne réinvente rien du tout, c’est ce que je dénonce.

Au fond, c’est mieux quoi, une bonne pompe ou une mauvaise publicité?

«Tout vaut mieux qu’une mauvaise pub! Mais tu ne me feras pas dire pour autant qu’il faut pomper, même si tu es rusé. Une reprise paresseuse et à l’identique même d’une très bonne campagne, ça, je ne pourrai jamais le cautionner.

« Je suis très critique envers la profession dans son ensemble qui fait mine de se réinventer en permanence. »

Tu dis partout que tu ne portes pas de jugement, que tu laisses le lecteur se faire le sien. Mais l’homme sous la cagoule, il a forcément un avis tranché?

«Je n’ai pas un jugement sévère sur une personne ou une agence en particulier, mais par contre je suis très critique envers la profession dans son ensemble qui fait mine de se réinventer en permanence (avec le digital, la réalité augmentée, le big data, le social media) et qui par derrière continue d’agir de la même façon depuis des dizaines d’années sans rien changer sur la problématique du plagiat et la manière d’y faire face ou d’y remédier. Ce problème est caché sous le tapis, minimisé et marginalisé en permanence alors que je pense qu’il est central. Mon travail montre bien l’étendue du problème qui n’épargne personne.

Dans le monde de la pompe, y a-t-il un pays qui se démarque particulièrement?

«D’une manière générale, ce n’est pas tellement une question de pays, mais plutôt de manque d’expérience. Plus les créatifs sont jeunes, plus
 ils manquent de culture et plus ils ont tendance à refaire ce qui existe déjà. Un jour, Rémi Babinet (BETC) m’a confié qu’en général, les créatifs ont une mémoire vive de deux ans. Les jeunes de la génération Y ou Z pensent faire du nouveau juste parce qu’ils utilisent des médias qui n’existaient pas quelques années plus tôt (Facebook, Twitter…), alors que je les épingle en permanence à recycler des blagues et des jeux de mots éculés depuis des décennies. Cette génération biberonnée à internet
 a d’ailleurs été appelée la génération ‘copier-coller’ dans un reportage que j’ai vu récemment à la TV. Aujourd’hui, il est plus facile que jamais d’aller sur le web et d’y faire un Pomme+C Pomme+V.

J’ai gardé la question la plus importante pour la fin. 
Est-ce que depuis que tu sévis, tu as senti une prise de conscience de la part des créatifs? Tu dis que certaines agences te consultent avant de lancer une campagne. C’est fort. Mais globalement, quelle est la tendance? Est-ce qu’on pompe moins? Penses-tu qu’un jour la publicité ne copiera plus la publicité? Ou au contraire, ton combat est-il vain?

«Je pensais innocemment que plus mon site serait connu, moins je trouverais d’exemples à épingler dessus, et je dois avouer que c’est plutôt le contraire. Il y a donc un souci. Soit tout le monde se voile la face, soit personne ne sait comment y remédier. Sans doute les deux. C’est un phénomène qui ne disparaîtra jamais complètement et il n’est pas du pouvoir d’un blog de l’endiguer, mais pour autant, mon combat n’est pas vain: la prise de conscience et la peur d’être épinglé sont devenues réelles. Sur internet, on copie facilement, mais il y aura toujours quelqu’un sur les réseaux sociaux, au détour d’un commentaire, pour vous ressortir
 vos casseroles. Désormais, que je sois là ou pas, personne ne peut copier en étant certain d’être épargné. Ce qui est un énorme changement
 par rapport au moment où j’ai commencé, et où des carrières entières
 de créatifs se sont faites grâce au plagiat ‘ni vu ni connu’ qui ne ressortait jamais. C’est ce qui me rend optimiste.»

La seconde interview, en live, sur la scène du 10×6 communication, invité par le Paperjam Club :