Devenir média ou devenir muet

Une tribune signée Jean-Baptiste Cumin, International Business Partner chez Vanksen.

Une nouvelle norme s’installe, discrètement mais définitivement: l’éditorial ne descend plus d’en haut, il remonte du terrain. La Gen Z ne « consomme » pas des marques, elle adopte des angles. Elle suit des créateurs comme on suivait des titres de presse: pour un ton, des rituels, une utilité tangible. Ici, la confiance n’est pas un héritage, c’est une démonstration permanente, publique, vérifiable. Le modèle top-down, campagne, plan de diffusion, post-mortem, a perdu de sa gravité. À sa place s’impose un système piloté par l’usage, où le format naît d’un commentaire, s’affine en direct, se consolide en long-form, s’installe sur un hub propriétaire et se monétise par le produit, l’affiliation ou l’abonnement. Ce n’est pas du « social » au sens décoratif du terme: c’est une chaîne de valeur éditoriale.

Le regard latéral vers la Chine confirme l’avance du paradigme: Douyin, Xiaohongshu ou Bilibili ont fusionné contenu, communauté et commerce. Les KOC n’« influencent » pas, ils démontrent. Le live n’est pas un spot, c’est un service après-vente en scène ouverte. Chaque friction devient preuve, chaque preuve devient préférence. La leçon est crue: l’autorité ne se décrète pas, elle se gagne à ciel ouvert.

Cette bascule impose aussi une hygiène de l’information. Dans des flux où la viralité peut devancer la véracité, une marque responsable clarifie ses espaces: le flux pour l’acquisition et la conversation, le hub éditorial pour les sources, les rectifications, les making-of.

Alors que les plateformes mélangent parfois contenu et publicité, l’on observe un retour des lieux à mémoire longue: blogs, forums, Reddit; où les fils se reconstituent et où l’étanchéité éditorial/annonce reste lisible. C’est là que s’installe une confiance durable: pas par proclamation mais par archivage, citation, recontextualisation.

Une marque a deux options: devenir un média, avec ses angles, ses preuves, ses rendez-vous, ou devenir muette, cantonnée à des apparitions payées et vite oubliées.

Ne pas prendre ce virage, c’est accepter une série de pertes silencieuses. Perte d’attention, d’abord: l’espace payé se renchérit pendant que l’oreille se déplace ailleurs. Perte de crédibilité: sans preuve récurrente, la parole est classée « promo » par défaut et zappée en un geste. Perte économique: la dépendance au loyer algorithmique fait grimper le coût d’acquisition et compresse les marges. Perte d’organisation, enfin : sans culture éditoriale, on externalise la relation à des créateurs qui, eux, deviennent le média, fixent le rythme et la grammaire de la conversation.

La sortie de crise n’est pas un slogan, c’est une gouvernance. Il faut d’abord un point de vue, assumé, délimité, ritualisé. Un angle ne vit que s’il se matérialise par des formats propriétaires, nommés, attendus, capables d’installer des habitudes. Il faut ensuite une transparence opérée, non simulée: signaler les partenariats, lier les sources, publier un droit de correction public. C’est l’assurance-qualité de l’ère post-confiance. Il faut enfin ancrer la relation hors des feeds: un hub qui documente, des communautés où l’on débat plutôt que l’on diffuse, une présence qui survit aux micro-variations d’algorithmes. Autrement dit, bâtir une économie de la preuve et une mémoire de marque.

Cette stratégie n’est pas antagoniste avec la performance, elle en est la condition. Là où l’ancienne mécanique achetait des impressions, la nouvelle fabrique de l’attention composable: un épisode nourrit le suivant, un live redevient article, un article devient ressource, une ressource devient préférence, et la préférence se convertit parce qu’elle a été instruite, pas interrompue. La boucle se ferme quand la marque accepte de prendre la responsabilité éditoriale de la relation, de la même manière qu’un média respecte sa charte, ses corrections, ses lecteurs.

L’algorithme n’a pas de loyauté. L’audience, si.

Demain, on ne dressera plus l’inventaire des « créateurs » contre les « médias ». On se demandera qui répond, qui cite, qui corrige, qui archive. Qui prend, en somme, la responsabilité du récit. Dans ce paysage, une marque a deux options: devenir un média, avec ses angles, ses preuves, ses rendez-vous, ou devenir muette, cantonnée à des apparitions payées et vite oubliées. L’algorithme n’a pas de loyauté; l’audience, si. Elle va là où la valeur est lisible. À vous de choisir si votre voix s’y fait entendre, jour après jour, preuve après preuve.

Une tribune signée Jean-Baptiste Cumin, International Business Partner chez Vanksen.